L’addiction au travail : comprendre pour prévenir

Historiquement, le concept d'addiction renvoie à la notion de servitude : en droit romain, le terme "addictus" désignait un esclave. Dans le paysage des addictions, l'addiction au travail, aussi appelée workaholisme, émerge comme une forme d'asservissement, caractérisée par une pratique compulsive et une perte de contrôle. Mais cette vision du travail comme un sacerdoce, impliquant dévouement et sacrifice, risque d’occulter des facteurs plus organisationnels en pathologisant des comportements individuels.  Exacerbée par la culture de la performance, ainsi que par les dimensions de plaisir et de sociabilité parfois recherchées par le salarié, cette dépendance interroge la valeur même du travail.

A l’heure où la question du rapport au travail est devenue centrale, où la quête de sens et l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle sont au cœur des préoccupations des salariés, paradoxalement, le workaholisme reste un sujet d’étude pour lequel il demeure difficile de conclure sur une baisse ou une hausse observée. Ainsi, l'addiction au travail nécessite une approche globale et nuancée pour être pleinement comprise et adressée.

Le workaholisme, que sait-on ?

Le terme workaholisme a été créé par le psychologue américain Wayne Oates en 1968, associant cette notion à un engagement excessif et compulsif dans le travail, au détriment de la santé et du bien-être personnel. Dans les années 1980, le docteur Olievenstein a montré que le risque de dépendance résulte de l’interaction complexe de trois facteurs : une personne avec son histoire de vie et son patrimoine, le contexte socio-environnemental, et un produit.

Les recherches actuelles ont affiné sa définition, le distinguant de simples comportements de surinvestissement professionnel. Désormais reconnu comme une addiction comportementale, avec ses critères diagnostiques, le workaholisme reste difficile à évaluer en raison de l’absence d’une définition et de méthodes de mesure universelles, les études estimant sa prévalence entre 8% et 31%.

Une enquête de 2010 sur 50 salariés de la région parisienne[1] a révélé que 54% d’entre eux présentaient un risque moyen ou élevé de workaholisme. Une étude japonaise de 2011 a montré une prévalence de 31,2% chez les hommes et de 27,6% chez les femmes.

Cependant, l'évaluation des déterminants liés au travail reste peu explorée. En Norvège, une enquête nationale de 2015 portant sur un large échantillon représentatif [2], étudie spécifiquement les facteurs socio-organisationnels susceptibles de jouer un rôle dans le développement du workaholisme. Elle révèle que les exigences du poste, l'ambiguïté du rôle et l'exposition à des actes négatifs au travail (harcèlement, conflits…) en sont des déterminants significatifs, le travail obsessionnel devenant alors une réponse pour faire face au stress et à l’anxiété générés par ces conditions.

Et concrètement que peut-on faire ?

Les connaissances actuelles[3] montrent que le workaholisme entraîne un épuisement émotionnel, un stress chronique, des troubles somatiques et des difficultés de conciliation entre les vies personnelle et professionnelle. Pour les entreprises souhaitant prévenir et accompagner l’addiction au travail, il est essentiel d'adopter une approche systémique :

  • promouvoir un équilibre vie professionnelle-vie personnelle et mettre en place des politiques claires de soutien de cet équilibre, incluant la sanction de comportements allant contre cet équilibre ;
  • favoriser une culture de soutien en encourageant les salariés à demander de l'aide. Cela peut inclure des programmes d'assistance aux employés, des séances de sensibilisation et des espaces de discussion sur le travail ;
  • encadrer de manière saine et outiller les managers, afin qu’ils repèrent et apprennent à freiner leurs collaborateurs. Mettre en place des limites claires de temps de travail, réguler l’activité et soutenir la gestion du stress ;
  • favoriser une productivité durable en valorisant les accomplissements fondés sur des critères de qualité et de contribution significative ;
  • intervenir spécifiquement en ciblant la prévention du workaholisme et du burn-out : ateliers collectifs, interventions cognitivo-comportementales et utilisation d’outils de repérage par les services de santé au travail.

En synthèse, en acceptant d’examiner les déterminants professionnels du workaholisme, il devient possible de développer des interventions ciblées pour prévenir et accompagner les comportements addictifs au travail.

Sources :

[1] Workhaholisme, Enquête au sein d’une population de salariés parisiens, L. Taghavi, Centre interentreprises et artisanal de santé au travail (CIAMT)

[2] The Relationship Between Psychosocial Work Variables and Workaholism: Findings From a Nationally Representative Survey, December 2017, International Journal of Stress Management 26(1)December 2017, DOI:10.1037

[3] Sandrin E, Gillet N. Déterminants et conséquences du workaholisme chez des salariés français, Psychologie Française, Volume 63, Issue 1,2018, Pages 1-9, ISSN 0033-2984. Burcoveanu T.  Workaholisme : état des connaissances. Vu du terrain TF 20.Ref Santé travail. 2014 ; 139 : 143-151

 

par Marion Lagarde

Manager Senior