Comment reprendre l’activité quand elle n’a jamais cessé…
Pour cette semaine pour la QVT en pleine crise du COVID 19, ne parlons pas, pour une fois, de virus, de contamination, de gestes barrière…
Je vous propose de parler du travail.
De la qualité du travail, de la charge de travail, de sa régulation. Bref, de Qualité de Vie au Travail.
Tout d’abord un résumé des épisodes précédents : Qu’avons-nous observé pendant le confinement ?
Eh bien… on a vu de tout !
Certaines personnes, en télétravail, ont vu leur productivité augmenter de manière significative. D’autres ont eu énormément de mal à absorber la charge (du fait des contraintes personnelles, d’outils inopérants, d’une hiérarchie trop contrôlante, etc.). Et beaucoup d’autres ont continué de se lever le matin pour aller au boulot, avec les difficultés que l’on connaît (transports, gestes barrière, etc.).
Certains ont adoré cette période. D’autres se sont remis en question. D’autres au contraire ont très mal vécu les contraintes du confinement, le télétravail, ou l’absence de travail…
Comment faire le tri dans tout cela ?
Pour y voir plus clair commençons par un étonnement : l’augmentation de la productivité dans certaines équipes en télétravail. Comment cela a-t-il été possible ? Avec les enfants à garder à la maison, la contrainte de l’éloignement des collègues, et souvent une certaine forme de désorganisation (tout à fait compréhensible) pour s’adapter au nouveau contexte : tout pousse au contraire à observer partout une baisse de la productivité des équipes en télétravail. Alors bien-sûr on économise les trajets, on ne perd plus son temps en réunions inutiles (dont on se débarrasse assez vite…), on a parfois été créatif·ve et innovant·e pour résoudre tout un tas de problèmes nouveaux et urgents, mais… est-ce suffisant comme explication ?
Que nous ont dit les managers de ces équipes ?
« On a constaté une très forte augmentation de la productivité chez nous, par contre les collègues sont très fatigués ».
« Très fatigués »
Le travail en période de confinement s’est très souvent intensifié. A force d’éliminer le superflu, le non « strictement productif », les « temps morts » de l’entreprise (prendre un café un peu au débotté avec un·e collègue, parler du beau temps avec son·sa voisin·e au détour d’une conversation sur un dossier, attendre devant l’ascenseur…) ont souvent disparu. Ils ont été remplacés par des leçons de grammaire, mais aussi par des enchaînements de réunions, des interruptions des enfants, etc.
Le télétravail massif fatigue les personnes lorsqu’il fait disparaître les temps de repos du cerveau, ces temps nécessaires à la régénération de nos capacités cognitives. Le télétravail massif fatigue aussi lorsqu’il ne permet pas la « qualité du travail » : difficulté à se concentrer, environnement de travail bruyant, chaise inadaptée, augmentation de l’intensité du contrôle, mais aussi sentiment d’urgence, de devoir faire les choses plus vite, moins bien, etc.
On ne peut pas faire ça longtemps. Deux semaines pourquoi pas. Mais 3 mois ou plus ?
Donc aujourd’hui, plus de douze semaines après le confinement, la plupart des gens sont revenus ou vont revenir sur site fatigués. Attention : fatigué·e ne veut pas dire malade, de nombreux·ses collaborateurs·trices sont déjà revenu·es avec enthousiasme au bureau. Mais cette fatigue généralisée est une donnée d’entrée qu’il va falloir intégrer pour organiser le travail.
Là on tombe sur un os, une équation impossible :
D’un côté, un enjeu de survie des entreprises, qui inciterait à mettre les bouchées triples le plus vite possible.
De l’autre, la nécessité de remettre en énergie des travailleurs·ses déjà fatigué·es, pour préserver leur santé d’abord, pour permettre cette reprise d’activité ensuite.
En théorie des jeux, on appelle ça un jeu à somme nulle. D’apparence : « si je gagne tu perds, si je perds tu gagnes ». Si l’on met les bouchées triples tout de suite, le risque est d’épuiser les collaborateurs·trices. Mais reprendre trop doucement l’activité pourrait mettre en risque l’entreprise.
Qu’est-il possible de faire alors ? Comment résoudre cette équation ? A quel niveau de l’organisation ?
Les réponses sont multiples, parfois techniques (notamment pour les managers), mais elles peuvent suivre trois fils rouges :
1/ Avant d’attaquer un virage difficile : on freine d’abord, on accélère ensuite
Cela est souvent difficile à accepter, mais il est nécessaire en cette période de « relance », de faire les choses en deux temps. On recharge les batteries des équipes d’abord, et seulement ensuite elles seront capables de déployer, dans la durée, l’énergie nécessaire pour contribuer efficacement à cette reprise. Attention ! Vous rencontrerez de nombreuses personnes « fatiguées » mais très en demande d’objectifs impossibles et de de challenges fous. C’est justement vis-à-vis de ces personnes-là qu’il faut freiner. Car elles courent le risque de s’épuiser. Le·la manager pourra volontairement limiter ses attentes vis-à-vis du· de la collaborateur·trice, souvent en-dessous de ce qu’il·elle attendrait en temps normal (une exigence minimale). En autorisant le·la collaborateur·trice à aller plus loin s’il·elle le souhaite, MAIS SEULEMENT une fois cette exigence minimale atteinte, et une fois le·la manager rassuré·e que cela a pu être fait dans de bonnes conditions. Ce faisant, le·la manager évite que le·la collaborateur·trice se fixe des objectifs intenables (je rappelle : « bouchées triples ») et que des sentiments de culpabilité se rajoutent à sa fatigue existante. Cela n’empêche pas d’accélérer ensuite, de reprendre un bon rythme, une fois que le·la collaborateur·trice a repris ses marques. Cela vaut évidemment pour tous·tes les collaborateurs·trices, qu’ils·elles travaillent sur site ou à distance.
Je rappelle que l’enjeu est d’abord de préserver la santé psychologique des personnes mais aussi de permettre une performance durable de l’organisation. Vous voulez garder vos équipes efficaces longtemps, s’il vous plait, freinez-les au début, laissez-les accélérer ensuite.
2/ Le plaisir d’abord, le reste suivra
Quand on est au bout du rouleau, le plaisir est une ressource précieuse pour réduire la fatigue. Il sera donc utile d’injecter des sources de plaisir dans la priorisation des tâches des équipes. Privilégier une activité intéressante sur une activité plus importante mais moins stimulante constitue donc un bon réflexe. Même si cela ne colle pas toujours avec les priorités d’équipe. Si l’on est manager, il est donc utile dans le travail de priorisation avec un·e collaborateur·trice de l’interroger sur ce qui lui plaît le plus dans son travail et ce qui génère chez lui·elle de l’intérêt, puis prioriser tant que possible les activités qui vont dans ce sens.
Par ailleurs, même lorsqu’il est trop difficile, voire impossible, de prioriser dans le sens du plaisir, du fait des contraintes de l’activité, échanger avec un·e collaborateur·trice sur ce qui est source de plaisir pour lui·elle constitue en soi un excellent signe de reconnaissance. Et on a tous besoin de reconnaissance en ce moment.
3/ Eviter d’être trop exemplaire (en tout cas en ce moment )
En situation de crise, les « héros·ïnes » émergent facilement. Ceux·celles qui gèrent les devoirs de leurs trois enfants, managent une équipe de 17 personnes à distance, révolutionnent les modes de travail tout en faisant leur pain « maison ». Ce ne sont pas des héros·ïnes , ce sont des modèles inatteignables. Pour des collaborateurs·trices en forme, ces « rôles modèles » sont parfois utiles. Pour des collaborateurs·trices fatigué·es, ces personnages indépassables peuvent être sources de stress : « Comment fait-il·elle ? ». « S’il·elle y arrive, pourquoi pas moi ? ». Cela peut tétaniser les personnes, générer chez elles des inhibitions, les amener à ne plus voir que des obstacles aux enjeux qui se présentent à elles. Donc s’il vous plaît, qui que vous soyez (dirigeant·es, managers, collègues), n’hésitez pas à parler un peu de vous-même, à admettre, lorsque cela a été le cas, que cela n’a pas forcément été facile pour vous non plus. Si au contraire cette période a été plutôt simple pour vous, n’hésitez pas à verbaliser que vous êtes conscient.e qu’il s’agit là d’une chance, d’un privilège. Cela permettra à votre entourage de ne pas se sentir seul face à ses difficultés, et d’aller chercher du soutien.
Ces trois fils rouges valent à tout niveau de l’organisation. Ils peuvent guider les dirigeant·es, les managers, les équipes RH, les collaborateurs·trices pour aider leurs collègues ou pour eux·elles-mêmes…
Et pour conclure simplement, je vous laisse avec cette citation de MC Solaar : Prendre du recul, c'est prendre de l'élan (MC Solaar, Le bien, le mal)