En période de transformation, comment ne pas rajouter de la démobilisation à la démobilisation ?
Un projet de transformation implique par essence du changement : modifier ses pratiques, en développer de nouvelles, voir partir des collègues, absorber une charge de travail supplémentaire…. Si nous ne sommes pas tous égaux face au changement, ces éléments auront nécessairement un impact négatif sur les équipes tant au niveau émotionnel qu’opérationnel, se traduisant par une certaine forme de démobilisation.
De leur côté, les managers font face à des enjeux multiples. Ils doivent inspirer, cadrer, faciliter mais aussi encourager et soutenir leurs collaborateurs1. Ils ont également pour mission d’accompagner le déploiement du projet, tout en continuant à embarquer le collectif dans la vie quotidienne de l’entreprise. Leur rôle est stratégique.
Pourtant, on oublie trop souvent que les managers sont aussi des collaborateurs comme les autres, avec leurs difficultés et leurs incertitudes. Et cette mission stratégique d’accompagnement, les managers ne se l’approprient pas tous de la même manière.
Elle est d’autant plus difficile qu’elle peut être est teintée de leur propre démobilisation. Souvent informés du projet de transformation en même temps que leurs collaborateurs, ils n’ont pas de temps d’avance. Ils doivent donc gérer leurs propres émotions en même temps que celles de leurs équipes, tout en rebondissant très rapidement pour faire justement ce que l’on attend d’eux.
Il est alors tout à fait compréhensible qu’ils fonctionnent « à l’instinct » et qu’ils tombent dans certains pièges qui pourraient ajouter de la démobilisation à la démobilisation.
Alors comment faire pour ne pas accentuer la démobilisation des équipes avec des pratiques managériales qui pourraient être maladroites ? Quels pièges éviter et quelles bonnes pratiques managériales adopter en période de transformation ?
L’importance de la communication en contexte de changement
Les pièges à éviter :
- Fuir les échanges car on ne dispose pas soi-même d’information ou que l’on est mal à l’aise dans cet exercice.
- Minimiser l’impact du projet de transformation sur ses collaborateurs et leurs inquiétudes
- Essayer de vendre à ses équipes que le projet est merveilleux, que la promesse de changement est belle. C’est alors en décalage complet avec ce que les salariés vivent réellement.
La communication en contexte de changement est une communication qui doit aller dans les deux sens : ce n’est pas seulement donner de l’information mais c’est aussi donner l’opportunité aux collaborateurs de s’exprimer sur leurs craintes et leurs besoins.
Le conseil de Gabrielle Basquine : ritualiser les temps d’information et être transparent. Prévoir par exemple une fois par semaine un temps lors duquel le manager partage ce qu’il sait de l’avancée du projet, ce qu’il ne sait pas, et accueille les questions et le ressenti de ses collaborateurs ainsi que de leurs difficultés.
Cela permet de réduire l’espace d’incertitude de ces derniers, nourri par les interprétations, les rumeurs et les messages parfois anxiogènes qui circulent. La démobilisation des collaborateurs provient notamment des incertitudes générées par le manque d’information. Ces rituels permettent également de canaliser les sollicitations, limitant le risque pour les managers d’être interpellés à tout moment.
La communication en contexte de changement a pour objectif d’apaiser les incertitudes mais également de préserver, voire reconstruire le lien de confiance des collaborateurs qui a été mis à mal par une annonce qui a sans doute généré un fort sentiment d’injustice.
L’enjeu de la reprise du travail
Après l’annonce d’une restructuration, les managers peuvent rencontrer deux écueils : vouloir que les collaborateurs reprennent le travail tout de suite, ou à l’inverse, ne pas oser le leur demander.
Dans les deux cas, ce n’est bon pour personne. En voulant aller trop vite, les managers ne laissent pas le temps à leurs équipes d’accueillir, de digérer la nouvelle et d’extérioriser leurs émotions. Un tel écart avec les besoins immédiats des collaborateurs peut avoir comme effet d’accroître leur désengagement alors qu’une baisse de motivation suite à une annonce est tout à fait normale dans une telle période.
Mais à l’inverse, laisser une période trop longue avant de formuler des attendus quant au travail (suivi de la charge, objectifs, recentrer sur les projets en cours…), n’est pas salutaire non plus. Face au mono-sujet que peut devenir l’annonce d’une réorganisation, et surtout face au sentiment d’impuissance qu’elle génère, les collaborateurs expriment souvent le besoin de penser à autre chose, de se projeter dans quelque chose de concret, sur lequel ils sentent qu’ils peuvent exercer du contrôle.
Revenir à un à un certain rythme de travail, échanger sur des sujets professionnels, atteindre des objectifs, nourrissent le sentiment d’accomplissement du collaborateur et donc son estime de soi.
Pour être bénéfique en revanche, l’enjeu de la reprise du travail doit tenir compte des contraintes engendrées par l’annonce du projet et du flou organisationnel engendré pendant la période transitoire de sa mise en œuvre. il faut ramener les objectifs à des échéances plus courtes pour les rendre appréhendables.
L’utilité d’une dynamique collective positive
Face aux ambiances de travail pesantes inhérentes à l’annonce d’un projet de transformation, un autre piège pour le manager est la perte des moments conviviaux avec son équipe : fêter les anniversaires, organiser un petit-déjeuner… Or ces temps favorisant le lien et la cohésion ne sont pourtant pas à négliger car ils génèrent une dynamique collective positive et nourrissent le sentiment d’appartenance.
L’autre piège en lien avec la dynamique collective de l’équipe peut-être celui de la non-ingérence. Face aux difficultés rencontrées, les relations peuvent se tendre au sein d’une équipe. On peut souvent observer une montée en puissance des stratégies individualistes qui nous aident à nous repositionner face aux changements. Là où le collectif était en mesure de gérer ces tensions par lui-même « en temps normal », c’est plus difficile en contexte de changements, car les salariés n’ont souvent d’autre choix que de faire passer leurs intérêts personnels avant ceux du collectif. Penser que les tensions vont se réguler d’elles-mêmes, c’est prendre le risque que les difficultés relationnelles deviennent de vrais points de crispation et évoluent en conflits
Le collectif et les liens sociaux sont une source essentielle de soutien et de réconfort au travail, qui permettent de rendre les changements moins difficiles à vivre. Même dans les collectifs les plus bienveillants, il semble important, en période d’incertitude, d’être particulièrement attentif à tout ce qui se faisait « naturellement » auparavant et qui risque de se perdre ou de se dégrader dans un contexte de flou organisationnel.
La puissance de la reconnaissance
Le dernier piège à éviter pour les managers est de ne valoriser que les résultats et les succès.
Or en contexte de réorganisation, les succès sont souvent moins nombreux et les collaborateurs puisent très souvent dans leurs ressources pour se mobiliser et venir travailler. Il est alors important de valoriser l’humain, l’engagement et les efforts réalisés pour le maintien de l’activité.
Comme l’explique Gabrielle Basquine : « Ce n’est pas un réflexe de travailler la reconnaissance comme un levier de bien-être et de performance. Et pourtant quand on y pense, les efforts fournis par les salariés sont énormes. Tout ou partie de leur futur se trouve remis en question, du jour au lendemain, incertain et souvent sans une bonne visibilité sur ce que l’on peut faire pour se réapproprier cette trajectoire professionnelle qui nous échappe. On peut parfois se sentir impuissant et avoir à puiser la force en soi de venir tous les matins pour continuer à faire son travail. Alors oui, la reconnaissance de ces efforts, de cet engagement, c’est quelque chose de très puissant et dont on a énormément besoin en période d’incertitude. On ne sait pas toujours comment notre métier ou même notre carrière va évoluer, mais la reconnaissance donne du sens au « pourquoi » on continue quand même à avancer. »
Qu’un manager tombe dans ces pièges, en contexte de restructuration, ne signifie en rien qu’il est un mauvais manager. Lui-même navigue souvent à vue et fait de son mieux pour répondre aux multiples enjeux qui se présentent à lui : gérer ses propres réactions, sa charge de travail habituelle, accompagner les membres de son équipe tant sur le plan émotionnel qu’opérationnel. Il doit résoudre des équations qui sont parfois impossibles : inspirer sans information, cadrer dans le flou, encourager sans leviers, mobiliser quand le collectif se dissout.
Ne pas rajouter de la démobilisation à la démobilisation devient alors un exercice qui requiert parfois de faire différemment de ce que nos réflexes nous pousseraient à faire ou de ce que le climat nous invite (ou nous contraint) à faire. Et par essence, ce qui ne nous vient pas naturellement est difficile à faire, au moins au début.