La prévention, le serpent de mer de la santé au travail
« Mieux vaut prévenir que guérir ».
Ce fameux adage ne semble guère guider la politique de santé de notre pays. Ainsi, alors que les sommes dépensées pour la santé en France sont parmi les plus importantes d’Europe par habitant, la part consacrée à la prévention est étonnamment faible : moins de 2% en France contre 3,1% en moyenne dans l’Union européenne. Les dépenses de prévention par habitant chaque année représentent 132 euros en Allemagne et seulement 72 euros en France.
La prévention, parent pauvre de la santé publique, connaît la même situation en santé au travail.
Ainsi les risques psychosociaux (RPS) sont majoritairement abordés par des actions correctrices et réparatrices et moins souvent de façon préventive. Pourtant, le stress au travail, en augmentation régulière, est clairement identifié comme le premier risque pour la santé au travail aussi bien par l’Organisation mondiale de la santé que par le Bureau international du travail.
Au niveau national, rappelons-nous que ce sont les suicides survenus dans le monde du travail il y a une quinzaine d’années qui ont fait prendre conscience à notre pays des menaces émergentes qui pèsent sur la santé des salariés. Dans les pays d’Europe du Nord, c’est dès la fin des années 70 que se mettaient en place des politiques nationales dans ce domaine. Et ce, non à la suite de drames, mais bien pour les prévenir.
Cette faible culture de prévention se retrouve toujours au sein de certaines entreprises. J’entendais encore récemment un dirigeant me confier que,
n’ayant jamais connu de suicide ou de burn-out chez ses salariés, il ne percevait pas réellement le besoin de mettre en place des actions de prévention des RPS,
mises à part les quelques obligations légales qui lui sont imposées. A-t-il attendu d’avoir le feu ravager son entreprise pour mettre en place une politique de prévention du risque incendie ?
L’accent mis sur la nécessité d’une prévention en santé au travail est pourtant régulièrement réaffirmé.
Dans le rapport sur les RPS, que nous remettions en mars 2008 au Ministre du travail suite à la vague de suicides survenue chez France Télécom, nous soulignions l’importance de promouvoir les actions de prévention. Dans l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur le stress au travail signé quelques mois plus tard en juin 2008 par les partenaires sociaux, était demandée « la mise en place d’une prévention efficace contre les problèmes générés par les facteurs de stress liés au travail ».
Douze ans plus tard, le récent ANI de décembre 2020 sur la santé au travail reconnait que
« le dispositif de santé au travail en France, à travers ses politiques publiques et institutionnelles, a trop longtemps été centré sur la réparation au détriment d’une approche positive donnant la priorité à la prévention primaire et mettant au centre des préoccupations le développement de la culture de prévention ».
Va-t-on enfin voir une vraie mobilisation des pouvoirs publics mais aussi des entreprises en faveur de la prévention en santé au travail ? Ou celle-ci ne restera-t-elle finalement qu’un serpent de mer ?
Psychiatre, Fondateur du cabinet Stimulus
Co-auteur des rapports sur les RPS pour le Ministre du travail et sur le burn-out pour l’Académie de médecine