Le modèle Effort Récompense de Johannes Siegrist : de l’évidence scientifique à la prévention dans les entreprises.
La période récente a été marquée par la mondialisation des échanges et l’intensification induite des conditions de travail. La charge mentale liée au travail s’est ainsi significativement accrue, dans un contexte de montée en puissance de la flexibilité et de la précarité. Dans un tel contexte, les effets de l’évolution du travail sur la santé des salariés sont devenus de plus en plus éloquents et il est apparu nécessaire de mettre en place un modèle théorique éclairant permettant à la fois de fournir des explications sur les liens entre le travail et la santé mais aussi d’éclairer à l’aide d’éléments scientifiques des faits pour mieux agir et prévenir le mal être croissant des salariés
Trois principaux modèles scientifiques ont ainsi vu le jour, notamment le modèle Effort-Récompense de Siegrist, majeur dans la compréhension des mécanismes de stress au travail.
Johannes Siegrist, né en 1943 en Suisse, est sociologue de formation. Il a été professeur de sociologie médicale à la faculté de Médecine de l’Université de Düsseldorf jusqu’en 2012. Il est mondialement connu pour ses recherches sur le stress au travail et sur les inégalités sociales de santé.
Le modèle « déséquilibre effort / récompense » proposé par Siegrist à la fin des années quatre-vingt repose sur le constat qu’une situation de travail peut prendre appui sur une combinaison d’efforts élevés et de faible reconnaissance de cet effort amenant une série de réactions pathologiques sur les plans émotionnel et physiologique.
Ce modèle explicatif s’applique à un vaste éventail de situations de travail et principalement aux groupes exposés aux changements socio-économiques rapides ou au chômage structurel.
L’effort élevé peut provenir de deux sources :
- l’effort extrinsèque lié aux contraintes de temps, aux interruptions fréquentes, aux nombreuses responsabilités, à l’augmentation de la charge de travail et à l’effort physique.
- L’effort intrinsèque (appelé ultérieurement surinvestissement) traduit quant à lui les attitudes et motivations liées à un besoin inné de se dépasser, de se sentir estimé, approuvé, de relever des défis ou encore de contrôler une situation menaçante.
La récompense est envisagée sous trois axes :
- Les gains monétaires aussi appelée reconnaissance matérielle
- L’estime reçue de la part des collègues et des supérieurs hiérarchiques
- Le degré de contrôle de son statut professionnel : les perspectives de promotion et la sécurité de l’emploi.
A travers ce modèle, le concept de « réciprocité sociale » est majeur, c’est-à-dire la possibilité d’avoir accès à des avantages considérés comme légitime compte tenu de l’effort fourni au travail.
L’existence de tels déséquilibres peut résulter de facteurs divers, Siegrist en liste trois principaux :
- Le fait que certains individus n’aient pas le choix et soient contraint de travailler pour vivre, même s’ils ne sont pas parvenus à un bon équilibre entre les efforts consentis et les récompenses obtenues.
- D’autres font le choix stratégique de conditions de travail difficiles en vue d’une évolution de carrière qui leur apparait comme particulièrement favorable.
- Enfin, certains individus se surinvestissent, consciemment ou inconsciemment dans leur travail.
Le constat d’un tel déséquilibre, le manque de reconnaissance et leur inscription dans la durée ont un effet sur la dégradation de l’estime de soi. Ces facteurs peuvent amener, selon les résultats des études menées par Siegrist, des conséquences graves en matière de santé parmi lesquels on trouve la survenue de maladies cardio-vasculaires, les troubles dépressifs ou encore les maladies artérielles.
Aujourd’hui, de nombreuses stratégies d’intervention sont mises en place dans les entreprises afin d’atteindre davantage d’équilibre. Elles suivent deux axes principaux :
- Agir sur l’individu : il s’agit de réduire les effets de la perception d’un déséquilibre entre l’effort et la récompense sur l’individu en améliorant sa capacité à s’adapter à la situation stressante et à mieux gérer son stress. Elles peuvent regrouper notamment l’apprentissage de techniques de relaxation, de prise de recul par rapport à des situations perçues comme stressantes ou encore la formation des managers à l’exercice de la reconnaissance. Ce sont des mesures de prévention secondaires nécessaires mais insuffisantes car elles ne visent qu’à réduire les conséquences mais n’agissent pas sur les causes du déséquilibre.
- Agir sur l’environnement de travail et notamment sur la reconnaissance : accentuer les efforts de prévention sur la prévention primaire qui vise à réduire la présence d’éléments pathogènes en milieu de travail. Ce travail s’accompagne d’une analyse précise des agents pathogènes et de leurs effets sur les individus.
Le modèle effort / récompense de Siegrist est puissant pour comprendre et agir au niveau organisationnel, managérial et individuel.
Clémence Ruelle – Consultante Stimulus