Sommes-nous trop « addicts » au travail ?

Addictions

Nous sommes tous sensibilisés aux problématiques d’addiction aux substances psychoactives comme l’alcool, les drogues illicites ou les médicaments psychotropes. Mais qu’en est-il des addictions comportementales, au travail, aux écrans, au sport ou encore au sexe ?

Addictions au travail. Infobésité (surcharge informationnelle). Addictions aux écrans et nomophobie (la peur d’être détaché de son téléphone portable). Addictions au sport, aux jeux d’argent en ligne, au sexe ou à la pornographie. Comme le stress qui est nécessaire pour vivre mais nocif à un niveau chronique, les comportements addictifs, au cœur de nos vies, sont acceptables en-deçà d’un certain niveau, que nous fixons nous-même en fonction de nos propres représentations. Au-delà, ils deviennent un véritable danger pour notre vie professionnelle et notre santé psychologique au travail.

Définir et comprendre les addictions comportementales

La conduite addictive répond au départ à un besoin excessif et irrépressible qu’on ne peut jamais satisfaire totalement (plaisir, réassurance, confiance, reconnaissance). Le stress, la sur-émotivité et le manque de confiance en soi sont des facteurs de risques aggravant qui facilitent le développement de troubles associés de l’humeur et de la personnalité (dépression, anxiété, bipolarité).

Dans nos représentations , nous hiérarchisons les addictions. Certaines sont considérées comme moins graves, plus socialement admises et plus nobles que les addictions aux substances notamment comme les drogues illicites. Nous sous-estimons aussi le problème parce que nous sommes chacun potentiellement concernés dans nos habitudes de vie et de travail. Nous sommes inconsciemment coupables de cette tolérance au comportement addictif et participons à créer -pour ensuite les critiquer- des habitudes et des normes qui entérinent ces comportements abusifs puis addictifs.

Le déni collectif

D’où le déni collectif, la difficulté de nommer le problème et à chercher des réponses collectives dans l’entreprise. Au contraire, on en reste à des réflexes qui stigmatisent, qui isolent, qui déresponsabilisent. On pointe des faiblesses ou des failles individuelles plutôt que d’interroger des facteurs de risques dans l’organisation et les pratiques de l’entreprise. « Si il a fait un burnout, c’est qu’il n’a pas eu les ressources suffisantes pour résister au stress. S’il n’arrête pas de pianoter sur son portable en réunion, c’est qu’il est geek ou de la génération Y. »

Les risques & conséquences possibles

Nous tolérons le »workaholisme » alors que la dépendance à son activité professionnelle ou le surinvestissement sont une condition et un risque très connu d’apparition du burnout. S’y ajoutent le risque d’isolement professionnel et social, les difficultés de concentration, les conséquences physiques (troubles du sommeil, hypertension, hygiène de vie dégradée), les conséquences financières (perte d’employabilité, surendettement, achats compulsifs) et les conséquences sur la santé psychologique. L’entreprise s’expose à des problèmes de sécurité, à une baisse d’efficacité individuelle (présentéisme) et collective. Son activité est impactée et sa responsabilité engagée.

Quoi faire ?

Pour la sécurité et l’image de marque de l’entreprise, il faut donc s’en occuper et intégrer le thème des addictions comportementales dans les politiques de santé / sécurité au travail ou de RSE : dialogue, prévention, sensibilisation, dispositif d’identification et de traitement des cas individuels ou collectifs.

Il n’y a pas de recette miracle mais certains leviers ont déjà fait leur preuve : l’engagement des dirigeants, les chartes de bonnes pratiques, la négociation d’accords (QVT, télétravail…), le règlement intérieur et la ligne d’écoute et de soutien pour les personnes dépendantes, leurs proches, les managers ou les RH qui sont en première ligne et souvent démunis. Il est utile de renforcer l’apprentissage du repérage précoce des comportements à risque (absentéisme, retard, agressivité, isolement) et aux bonnes pratiques managériales (risques psychosociaux) par des actions de sensibilisation et formation.

En fonction du contexte de l’entreprise, on pourra l’enrichir d’actions spécifiques pour certaines addictions. Pour lutter contre l’infobésité : éducation et encouragement aux bons usages du numérique. Pour lutter contre les addiction au sexe : politique anti-harcèlement, interdiction des sites pour adultes, régulation des sites consultés, sensibilisation au sexisme ordinaire et aux violences sexuelles. Pour prévenir le burnout, sensibiliser les acteurs de l’entreprise aux conséquences du surinvestissement. De même que la solution au sur-engagement au travail n’est pas le désengagement, mais un engagement raisonné, la solution à l’infobésité n’est pas la déconnexion complète et définitive mais l’adoption de pratiques saines de communication, d’accès et de production d’information. En un mot il ne s’agit pas d’interdire ou de proscrire mais davantage de sensibiliser les salariés à « consommer avec modération ». L’abstinence sur une période courte peut avoir des vertus.

Enfin, les addictions comportementales sont des problématiques qui nécessitent un accompagnement individuel spécialisé des personnes en souffrance et des personnes directement impactées par ces maladies « buvards » (collègues, famille, proches). Outre la prise en charge spécialisée l’implication et la participation dans des groupes d’usagers est essentielle pour travailler sur sa reconstruction personnelle avec le levier thérapeutique très puissant de l’identification à celui qui s’en est sorti (Joueurs Anonymes, Dépendants Affectifs Anonymes, ou encore Work Anonymes).

Accepter de nommer correctement les choses sans détour est souvent le meilleur point de passage pour traiter les problèmes d’addictions car bien souvent dans l’entreprise, la personne dont tout le monde parle mais à qui on ne parle plus, c’est bien la personne dépendante !

Alexis Peschard, GAE Conseil & David Mahé, Stimulus